"Drôle de guerre" (épisode 2) par Michèle Attar

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Publié le 06/05/2020

Michèle Attar, directeur général de Toit et Joie - Poste Habitat, livre un deuxième témoignage sur la situation actuelle du Covid19.

 

 

Le chef de l’État, dans son allocution du 13 avril 2020, ne parle plus de guerre. Sur ce point, nous sommes d’accord. Il ne s’agit pas d’une guerre. Et pourtant, derrière une première ligne constituée par les soignants, applaudis tous les soirs à juste titre, il évoque une seconde ligne, appelant à se "rappeler que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal".

Dommage que, parmi ces femmes et ces hommes, il ait oublié ceux qui font fonctionner le lieu dans lequel nous vivons 23h/24 durant le confinement : le logement. Le logement, dont on apprécie en cette période toute la dimension, et plus encore que d’habitude, la nécessité impérieuse.

Peut-on être confiné à la rue, peut-on se confiner quand on est sans ressources, sans domicile fixe ? Les associations se sont exprimées sur le sujet. Elles l’ont au demeurant bien fait.

Que seraient nos cités, nos résidences, nos logements sociaux, si nous avions déserté, si nos gardiens s’étaient retirés derrière un "droit de retrait", si nous avions abandonné l’entretien, les ordures ménagères et leur cortège de rotation, nettoiement, désinfection… ? J’espère que l’État reconnaîtra aussi cette deuxième ligne et, surtout, qu’il en prendra soin.

LE SYSTÈME D, ENCORE...

Un déconfinement a été annoncé pour le 11 mai et Édouard Philippe s’est exprimé une première fois le 28 avril. Là encore, rien sur le logement et sur notre secteur. Le silence de notre tutelle est assourdissant. Ou alors elle ne parle que de reprise des chantiers ou d’impayés…

Nous voici le 6 mai et, en ce qui concerne notre secteur, aucune consigne particulière, alors que le déconfinement du siège et des loges de gardiens est extrêmement complexe - beaucoup plus que ne l’a été le confinement. Une cellule organisationnelle et stratégique l’a prise en charge. Elle travaille dur depuis plus de 10 jours…

Mais, une fois de plus, c’est le système D qui prime. Toujours pas de masques par voie officielle. Ceux dont nous disposons viennent de la Région, des mairies d’arrondissement, du retoucheur voisin, et de notre actionnaire (1). Le gel hydro alcoolique est toujours transvasé de fûts en petites bouteilles, les sur-blouses sont introuvables… Comment, dans ces conditions, faire rentrer plus de cent personnes au siège sur 4 étages et dans des bureaux parfois partagés à quatre ?

Tout est à inventer. Comme au début de cette crise, on essaie de pallier, d’anticiper et de réfléchir, et vite ! Une fois de plus, il faut mobiliser intelligence, sens pratique et débrouillardise, pour permettre à deux bureaux qui se font face une certaine distanciation et de la sécurité. Nous avons dessiné des interfaces en plexiglas. Les mêmes serviront à accueillir les locataires dans les loges. Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir eu l’idée. Du coup, il y a pénurie et, bien entendu, flambée des prix. C’est dans la France provinciale non touchée par l’épidémie (ou moins) qu’il faut aller chercher la matière première. Une journée à deux au téléphone pour trouver du plexiglas à un prix abordable. Il sera découpé par un menuisier d’une de nos entreprises fidèles (les mêmes qui font les livraisons d’éléments de protection individuels, de quittances…).

UNE COURSE CONTRE LA MONTRE… AVEC UNE OBLIGATION DE RÉSULTAT

C’est une course contre la montre : il ne reste que trois jours ouvrés avant le début du déconfinement et nous ne ferons revenir les gens au siège ou dans les loges que si nous assurons leur sécurité. C’est le moins qu’on leur doive.

Il faut organiser les circulations et faire des marquages au sol pour éviter trop de croisements mais… pénurie de scotch bicolore de marquage au sol. Il faut du désinfectant virucide en bombe. Quel est le bon virucide ? Là encore, un flou total. Les fabricants écrivent n’importe quoi sur leur notice et l’appui d’un médecin spécialiste sera nécessaire pour identifier le bon virucide (encore faut-il y rajouter un composant !). Pénurie de conseil, d’appui de qualité…

Il faut organiser les plannings pour que le personnel présent au siège ne dépasse pas la barre des 50 %, et ceci en tenant compte des modes de transport, des gardes d’enfant, de la capacité à télétravailler… Un casse-tête où pragmatisme et sécurité ne riment pas toujours avec équité…

Cette crise va durer longtemps et nous avons une obligation de résultat. À nous de trouver (seuls) les solutions pour satisfaire nos locataires et rendre le service que nous leur devons, tout en appliquant pour nos personnels le principe de précaution. J’espère que nous serons au rendez-vous.

QUI COMMANDE ?

Qu’en est-il par ailleurs du déconfinement de nos immeubles ? Qui commande ? Le bailleur ? Le maire ? Le préfet ? L’État ?

De nombreuses questions restent en suspens, tant en terme techniques et organisationnels qu’en termes juridiques. Peut-on imposer un masque au locataire pour entrer dans nos loges ? Pour procéder à un état des lieux ?

Si l’on édicte la règle selon laquelle l’ascenseur ne peut être occupé par plus de deux personnes à la fois, qui sanctionne en cas de non-respect ? Qui est responsable de la distanciation préconisée par les pouvoirs publics à l’intérieur d’un immeuble? Je ne sais pas. Je crains que seul le virus ait aujourd’hui un réel pouvoir de sanction. C’est pourquoi nous multiplions les messages pédagogiques.

Mais le confinement devient de plus en plus difficile, de plus en plus "relâché", selon l’expression consacrée, du moins dans un certain nombre de quartiers. Les jardins intérieurs sont envahis, parfois même les terrasses sont inaccessibles. Les petits trafics reprennent, les incivilités se multiplient. Les conflits de voisinage explosent et certains locataires nous rappellent que nous leur devons une jouissance paisible. Le sésame du "plaideur" !

Fort heureusement, ils ne sont pas légion et la majorité est reconnaissante à nos gardiens d’être présents.

Il nous faut apprendre à vivre avec ce virus pour de longs mois, voire des années, et repenser notre façon de vivre mais aussi de gouverner. La relation avec l’autre est modifiée, l’autre en tant que danger potentiel, l’autre en tant que personne dont le danger nous rend solidaires et devrait nous rendre respectueux.

La contagion nous impose de nouvelles règles de vie, y compris dans la sphère intime du logement. Faisons en sorte qu’elles soient solidaires et humaines.

Michèle Attar.

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